1855 - Longue vie au roi Lysandre

Pauvre roi, il avait l’air épuisé, ou près à s’effondrer sur sa chaise.
Peut-être que si Winston était resté plus longtemps au pouvoir, il aurait été dans un même état de fatigue – la lassitude en moins, assurément.
Délaissant les quelques restes de son repas, Leslie se rappuya également sur sa chaise, imitant la position de sa majesté.

— Pour la curiosité, bien sûr, répondit-il en un sourire, les mains élégamment croisées sur ses genoux. Pourquoi d’autre pourrait-je vous poser ses questions, majesté ?

Décidément, l’appeler avec ce titre lui laissait un arrière-goût désagréable. Il n’avait rien d’un roi, et pourtant, c’était lui qui portait la couronne.
Pour le moment.

Dieux, ce que ce conseiller au ton suave pouvait lui taper sur le système. Il rêvait d’un bon bain chaud et de tranquillité, pas d’une joute verbale où il était voué à perdre.
Lentement, il s’efforça de retenir un geste agacé et avala une petite gorgée de vin pour se donner le temps de réflexion.
- Eh bien, je suis nouveau ici et je ne sais pas forcément comment les choses fonctionnent dans le milieu, s’excusa-t-il posément. Sûrement qu’en des temps aussi tendus qu’à présent, vous comprenez ma méfiance. Ce n’est rien de personnel, rajouta le jeune roi avec un sourire désarmant (l’un de ceux qu’il pratiquait durant ses bons jours).
Quelle blague, c’était tout à fait personnel. Jouer le rôle de l’idiot lui allait toujours pour le moment, mais même le plus sombre abruti de la cour aurait su qu’il fallait se méfier particulièrement du conseiller Bellingham et de ses paroles doucereuses.

- Bien sûr, je le comprends tout à fait, répondit Leslie d’un air entendu. Devenir roi dans ces conditions n’a rien d’aisé.

Néanmoins, si sa posture restait décontractée, le sourire du monarque l’avait interpellé.
Il avait pris à différencier les sourires. Les sincères, les hypocrites, les dangereux, les idiots, les indignes de confiance.
Lui-même souriait comme un requin et cachait chacune de ses motivations derrière un sourire de façade, tantôt poli, tantôt amusé.

Le chiot savait donc mentir – et très bien même.
Il méritait donc qu’on se méfie de lui, enfin !

Mais peut-être valait-il mieux ne pas trop tirer sur la corde, pour aujourd’hui du moins. Les semaines sont longues, il trouverait un autre moment pour discuter en privé avec sa majesté.

- Enfin, je ne voudrais vous importuner plus que je ne l’ai déjà fait. Je vous remercie d’avoir pris le temps de bien vouloir écoutez les requêtes, même en l’absence de mon collègue.