Project Valkyrie

De la viande... La dernière fois qu'elle en avait mangé, c'était il y a huit ans, avant que l'Ukraine ne soit tombée aux griffes de la jeune URSS et que le système de fermes communautaires ait été créé. Ce qu'ils avaient été riches, alors ! Trois bons repas copieux, une journée de neuf heures de travail au lieu de seize. Des fruits du verger en été et en hiver, leurs propres légumes en conserve; avec des œufs frais et des gâteaux pour leur anniversaire.
Rien à voir avec les quelques légumes de ces dernières années.
- C'est un endroit très propre, ils ne manqueront pas de moyens pour nous donner à manger, fit-elle en haussant les épaules. Ca pourrait être difficilement pire que là où j'étais avant.

Mickaël hocha doucement la tête, encore perdu dans ses fantasmes de nourriture.
- En tout cas, quoi que ce soit, j'aimerai que ça arrive vite. Je meurs de faim.
Il leva la tête, regardant autour de lui pour tenter de voir une différence. Mais les gens avaient simplement arrêté de tourner en rond et maintenant tous attendaient, plus ou moins calmement, que quelque chose se passe.
Soudain, un soldat, à l'air plus gradé que les simples gardes de la porte, entra dans la pièce.
- Andrei Korovine, Abel Hammerstein, Irina Lyssenko, Mickaël Lesnik, rassemblez vous. Vous passez les premiers pour l'examen médical.
Il répéta l'ordre en allemand, en polonais, puis en russe, en regardant autour de lui, pour repérer les appelés.

Irina retint un sursaut en entendant les bottes du soldat claquer et sa voix retentir calmement à travers la pièce. Depuis son incident au kolkhoze, elle avait du mal à supporter la vue de haut-gradés ou d'hommes musclés en uniforme.
Elle se leva cependant et adressa un regard inquiet envers Mickaël, comme pour lui demander son avis. Un examen médical ? Cela devenait étrange.
Elle entraperçut le jeune homme roux, Abel, et un inconnu de taille modeste et au regard froid qui les avait devancés.

Un examen médical , génial. Cela voulait généralement dire devoir se déshabiller et, pour diverses raisons, Andreï tenait cela en horreur. Tout d'abord parce que les vêtements formaient une sorte d'armure sociale : une fois sans, on se comportait immédiatement en inférieur. Ensuite, et c'était plus simple encore, parce que c'était sur lui que l'espion conservait ses biens les plus précieux. Encore pourrait-il se départir de son briquet ou de ses chères cigarettes... Mais en revanche, il y tenait, à sa pilule de cyanure. Dans son talon creux de la chaussure droite, il la conserverait probablement, mais on ne savait jamais.
Peut-être qu'ils se contenteraient de prendre leur pression et d'écouter leurs poumons...

Abel, appuyé contre le mur, entrain de ruminer sur les raisons qui l'avait amené ici, sursauta presque à l'attente de son nom, et se rapprocha de l'officier avec un air méfiant. Sans se l'avouer, l'idée d'un examen médical ne le mettait pas à l'aise, et la possibilité d'un piqure encore plus.
Mais il n'eut pas vraiment le choix, les trois autres convoqués étant approchés. L'officier ouvrit la porte et les conduisit jusqu'à une salle plus blanche encore, à l'odeur presque agressive de désinfectant. Deux docteurs, ou du moins deux hommes en blouse blanche les attendait.
Une fois tous rentré, et deux gardes postés à l'entré. L'officier se recula dans un coin, non sans leur avoir demandé de se déshabiller, entièrement.
Manifestement la séparation hommes-femmes ne semblait pas avoir beaucoup de prise ici.

Se déshabiller entièrement... Irina retint un soupir, tourna le dos aux trois hommes et se contenta de suivre les ordres, tout en se réjouissant d'avoir perdu autant de poids. Personne ne regarderait un sac d'os de manière sexuelle, après tout, et les côtes saillantes, les seins inexistants n'étaient pas exactement à la mode. Elle obtempéra donc sans broncher, tout en espérant silencieusement que l'examen passerait vite.

En revanche, Andreï était loin de le prendre aussi bien. Il dut serrer les lèvres et ce fut en de petits gestes retenus qu'il retira tour à tour chemise, pantalon, chaussures, chaussettes, caleçon. Ils avaient intérêt à leur rendre leurs effets personnels plus tard, songea-t-il, tout en sachant pertinemment que les chances seraient bien trop petites.
Il fit de son mieux pour ne pas témoigner trop de sa gêne et resta droit tandis que le premier docteur se chargeait de l'examiner, d'abord visuellement, ensuite en prenant pression, rythme cardiaque et respiration en compte.

Mickaël se mordit la lèvre et regarda les trois autres prisonniers, puis les deux gardes, et sentant qu'il n'avait pas exactement le choix, il commença à se déshabiller.
Il se sentait gêné - pas qu'il soit particulièrement pudique, loin de là. (Les répétitions aux cabarets dans des tenues quasi plus affriolantes qu'un corps nu lui avait appris à ne plus avoir honte), mais maintenant ... C'était différent. Déjà, c'était des inconnus, ce qui compliquait déjà les choses. Mais c'était surtout l'ambiance médicale qui le mettait mal à l'aise, et aussi l'impression de ne plus vraiment être un humain, au mieux, un rat de laboratoire. Aussi il obéit à contre-coeur aux ordres des médecins qui les inspectait tous.
Les questions étaient basiques, du moins, au début. Comme un vrai rendez-vous chez le médecin, mais bien vite il se rendit compte que quelque chose clochait, c'était trop scientifique. Trop ... Etrange.

Bien vite - heureusement - on leur permit de se rhabiller, mais pas avec leurs habits, ça aurait été trop beau.
Ils n'avaient qu'une chemise, un pantalon, des sous-vêtements, tous dans la même teinte. Chemise blanche, pantalon beige. La qualité était mauvaise.
D'ailleurs, après un instant d'hésitation, et un regard en coin vers l'officier, on leur rendit leurs chaussures. Comme quoi, même pour des soldats, le cuir n'était pas une denrée si facile à trouver.

Les médecins les repartent ensuite par groupe de deux, et posèrent des questions de plus en plus indiscrètes et ciblés, tout en notant frénétiquement leurs réponses.

On leur rendait leurs chaussures... ! Si Andreï avait cru en Dieu, il lui aurait adressé un remerciement. Il disposait toujours de sa petite porte de sortie si jamais on l'interrogeait trop.
Cela n'empêchait pas de se sentir vulnérable, même habillé.
Dernier rapport sexuel, derniers aliments consommés, habitudes sportives... avez vous consommé de l'alcool, des drogues... Et on en passait. Il répondit aussi efficacement que possible et soupira de soulagement quand ils furent relâchés.
- Le déjeuner sera servi dans trente minutes. Profitez-en pour vous laver.

Il n'y avait pas d'autre mots qui ne lui venaient à l'esprit à part celui-ci : humiliant. Une autre humiliation quand elle avait du avouer à voix basse que oui, elle avait eu un rapport sexuel le mois dernier et que oui, elle était peut-être enceinte, qu'elle ne savait pas encore au juste. Le médecin s'était contenté de pincer les lèvres et de dire qu'ils s'en occuperaient plus tard.
Enfin... Avec sa nouvelle chemise propre et sa jupe ample, elle se sentait mieux. Au moins ils déjeuneraient bientôt. Un peu perdue, elle chercha Mickaël et Abel du regard tout en regagnant la salle commune, escortée de deux gardes.

Reboutonnant sa chemise le plus vite possible, Mickaël soupira, à la fois de soulagement et pour se calmer un peu. Décidément, les médecins le mettait mal à l'aise depuis que sa soeur était tombé malade. Mais bon, au moins, les médecins ne leur avait rien fait de très grave, et il avait des vêtements maintenant. Par habitude - et parce que l'idée de rester seul dans un endroit pareil le mettait mal à l'aise - il se rapprocha de nouveau d'Irina, tout en observant du coin de l'oeil Abel qui grognait contre les poches plus petites que sur son ancien pantalon, et ... Andrei, si c'était bien ça son nom. Enfin, l'autre russe.
Apparement aucun d'eux n'avait apprécié ce rappel médical.
Mais au moins, c'était finis maintenant. Ils croisèrent un autre groupe de quatre personnes dans le couloir et furent de nouveau "relâcher" dans la salle commune.
- Bon, au moins, on a notre réponse concernant la bouffe, c'est pas si mal, tenta Mickaël avec un vague sourire en direction d'Irina.

Irina eut un sourire rassuré en voyant le Polonais se rapprocher d'elle et hocha la tête, le regard pensif tandis qu'elle se frottait les bras dans une tentative de se réchauffer.
- Et tu penses que ce sera quoi ? On devrait parier sur le plat et la qualité, proposa-t-elle à moitié à la blague, tout en se retenant d'hausser les sourcils en voyant Abel grommeler à quelques pas d'eux.

- Voyons voir ... Si j'étais optimiste, ou stupide, ou juste trop naïf, je dirais qu'on aurait un merveilleux repas avec trois plats, et un bon dessert, avec de la viande, juste un peu d'alcool pour faire passer le tout et du pain. Mais bon, soyons réaliste, ça va sûrement être des légumes, baignant dans un truc non identifié, de l'eau, et du pain, si on est chanceux. Mais pas de viande. Je fais peut-être une fixette sur la viande en fait. Non ?
Tout en parlant, le polonais se dirigea vers l'une des tables et s'y assit, en invitant Irina à s'assoir à côté ou en face de lui, comme elle voulait. On est gentleman ou on ne l'est pas.

Elle retint un petit rire et s'asseya à ses côtés, soutenant son menton dans sa main en faisant mine de réfléchir.
- Mmm... Non, ton obsession me semble tout à fait normale durant des temps comme ceux-ci, fit-elle souriant. J'espère qu'on aura de la soupe avec un minimum d'épaisseur et de légumes... quelque chose qui goûtera bon, soupira-t-elle. Mais du moment qu'on a de quoi se caler un minimum et à boire, tout m'ira. Même si un ragoût serait génial... On est en décembre après tout, et il fait-trop-froid !

- Ouais ... Parlant de température, j'espère qu'il y aura des couvertures sur nos lits, et pas juste un drap. Et que les douches seront séparés aussi - pas que ta présence me dérange ! - mais cet examen médical ... Etait franchement gênant. D'ailleurs pourquoi ils ont fait ça ? Et les questions étaient bizarres aussi ... Ça nous aide pas beaucoup à savoir pourquoi on est là, et qu'est-ce qu'y va nous arriver.
Mickaël jeta un coup d'oeil à l'horloge et soupira légèrement. Encore au moins 20 minutes à attendre pour un repas qui serait sûrement décevant. Pas que la prison l'ait habitué à mieux, mais quand même. Quitte à être plus ou moins kidnappé par des soldats allemands, autant avoir de la bonne nourriture.

En l'entendant mentionner son envie de douches séparées, elle retint un petit reniflement amusé.
- Ne t'inquiètes pas, je t'apprécie aussi mais j'espère tout autant avoir droit à des douches séparées. Quant à pourquoi... Ca, on ne sait pas. Mais au moins ils se soucient suffisamment de notre état de santé pour nous évaluer, ça veut dire qu'ils ne nous tueront pas immédiatement, ironisa-t-elle.
Irina chercha distraitement Abel du regard et se frotta une paupière dans un geste las.
- Sinon, tu sais parler l'allemand ?

La suivant dans son ironie, il leva les yeux au ciel d'un air dramatique.
- Quelle chance on a, incroyable.
Suivant son regard vers Abel il haussa vaguement les épaules.
- A peu près. Enfin, assez pour comprendre, pas forcément assez pour répondre. Pourquoi ? Tu t'inquiètes pour le petit roux à grande gueule ?

- Tsk, ne commence même pas, le Polonais.
Elle lui tapa l'épaule à la blague avec un petit rire avant de se reprendre et de le regarder plus sérieusement.
- Mais plus ou moins oui. Il a l'air d'un gamin perdu et... ça fait ressortir mon instinct maternel, je suppose ? fit-elle avec un sourire amusé.
Un gamin mignon aussi, et plus petit qu'elle. Il y avait quelque chose de rassurant pour elle dans ce fait insolite.

Le dit polonais ne put s'empêcher de rire, et lui fit un clin d'oeil avant de se tourner pour regarder Abel qui s'était reposté à son emplacement favori, appuyé contre le mur, en fixant la porte. Il avait l'air de s'ennuyer ferme.
- Tu sais plus tu me dis de pas commencer, plus j'ai envie de commencer ~ Et ton instinct maternel doit être vachement fort pour aller t'interposer comme ça alors que tu le connais même pas, respect, franchement. J'pense pas que d'autres auraient fait ça.

"Plus tu me dis de pas commencer, plus j'ai envie de commencer"... Tsk, ce Mickaël était un vrai pervers. Mais quelque chose dans son ton et sa façon de parler et d'interagir ne lui faisaient pas peur, contrairement à la majorité des hommes depuis son viol.
A son compliment, elle ne put retenir un léger air gêné.
- Je n'ai jamais aimé ça, que les plus grands s'en prennent aux plus petits. C'est injuste. Et puis, c'est pas comme s'il me restait beaucoup de sensations dans la main à force de les geler et brûler... !

- T'es un peu un super héros en fait. Non un super défenseur - NON une super maman ! C'est ça, t'es une super maman. Et quelle tragédie, ton cher protégé n'a pas l'air extrêmement réactif à ça ...
A la mention de l'état de ses mains, il ne put retenir une moue compatissante.
- Arrête dis pas ça, c'est chiant d'avoir des mains sans vraiment de sensations, avec des mains on peut - ... Non je vais pas dire ce qu'on peut faire aha, tu vois très bien.

- Une super maman... J'aime bien cette idée, répondit-elle avec un sourire, à moitié pour elle-même.
En revanche en entendant la suite de sa remarque, elle ne put retenir une petite grimace désapprobatrice.
- C'est vraiment un truc de mec ça, de tout ramener au sexe, soupira la jeune femme. Et dire que je te pensais différent... ! rajouta-t-elle dans une touche mélodramatique un chouïa exagérée.

Il retint à grande peine un rire un peu trop bruyant pour l'endroit et fit semblant de baisser la tête en une révérence parodié.
- Pardon mademoiselle, mais je crois que le fait que je sois un homme n'a rien à voir avec mon esprit mal placé, faut croire que c'est de famille, et si tu veux tout savoir, ma soeur est pire que moi !

Elle retint un petit pouffement incrédule.
- Ta sœur est pire que toi ? J'ai du mal à voir comment quiconque pourrait l'être plus... !
Mais avant qu'elle n'eut le temps de rajouter quelque chose, ce qui semblait être des soldats de grade inférieur déposèrent une grande marmite sur la table commune, attirant l'attention des autres cobayes. L'un des deux, le plus jeune semblait-il, ajouta également des bols de bois et des cuillères de métal. Ils s'éclipsèrent sans plus de formalité, et fermèrent la porte à triple tour derrière eux.
Curieuse, Irina s'empara d'un bol et renifla le fumet qui se dégageait du potage contenu. Carottes, pommes de terre... un peu de chou aussi. En soulevant la louche de bois pour se servir, elle découvrit avec plaisir qu'il contenait plus de légumes que d'eau.
- Eh bien, ils sont moins radins que ce que je craignais, fit-elle avec contentement.

Mickaël n'eut pas le temps de répondre que déjà, le repas était apporté. Au départ méfiant il finit par soupirer doucement, c'était moins pire que prévu - ou plutôt, c'était meilleur que prévu.
Attiré, les autres cobayes s'étaient rapprochés et attendaient plus ou moins patiemment que chacun se serve.
Assez vite, chacun eut une assiette rempli et tous se repartirent de nouveau sur les quelques tables, un peu au hasard des rencontres.
Mickaël revint s'assoir près d'Irina, la regarda un instant, lui fit un clin d'oeil avant de se retourner vers Abel qui galérait à trouver une table de libre.
- Hé Abel, viens manger avec nous ! lui lança-t-il en allemand.
Surpris d'entendre son nom dans la bouche d'un quasi inconnu, il se retourna et hésita quelques instants avant de venir s'assoir à côté de Mickaël.
- M-Merci, marmonna-t-il en retour, dans un espèce de mélange de russe et d'allemand, à peu près compréhensible.

Le regard prolongé de Mickaël lui avait fait craindre le pire, mais... c'était pour inviter Abel à leur table. Evidemment. Elle ne savait pas exactement s'il fallait rire ou soupirer devant ce côté taquin.
Néanmoins, quand le jeune Allemand vint s'asseoir à leurs côtés en balbutiant un remerciement, elle ne put retenir un sourire amusé. Elle lui tendit une cuillère tout en fusillant Mickaël du regard (plus pour la forme que pour se venger, à vrai dire).
- Tu sais parler le russe ? demanda-t-elle lentement, en épelant chaque syllabe séparément tandis qu'elle entamait son bol de potage chaud avec appétit.

Abel lui prit la cuillère des mains et haussa vaguement les épaules.
- Euh ... Un peu. Enfin ... Je comprends un peu.
Il tourna la tête vers Mickaël qui hocha simplement les épaules en regardant autour de lui.
Des leur groupe de quatre qui avait passé en premier le test médical, il n'y avait que l'autre russe qui n'était pas là.
Dommage, ça aurait été drôle qu'il vienne manger avec eux, comme ça ils auraient tous été d'accord sur le côté gênant de ce rendez-vous médical.

(Alley je fais rentrer Andreï en scène alors 8D)

Ledit russe s'était appliqué à se doucher quelques minutes avant l'arrivée du repas, puis à inspecter les nouveaux vếtements médiocres qu'on leur avait donnés. Malheureusement, en dehors des poches étroites du pantalon, aucune autre cachette possible; il aurait pu en coudre s'il avait eu une aiguille, en détissant un drap ou une taie d'oreiller.
En entendant les débuts de discussion qui se formaient et l'odeur du potage, il raidit son col avec soin et revêtit ses chaussures avant de sortir de la "salle de bain" vers le mess improvisé, quelques mèches perlant encore d'eau tiède. Une seule place libre... En face du jeune homme au visage d'un Européen de l'est. Il sourit donc poliment à la tablée.
- Je peux m'asseoir là ? demanda-t-il, commençant en allemand et terminant en russe.