Le Manoir

Etait.
Erin baissa la tête et se mordit la lèvre, tandis qu'elle se rappelait de sa propre soeur perdue à jamais, si jeune déjà.
- Je suis désolée, Neal. Moi aussi, j'ai perdu ma petite soeur... Alors si tu préfères ne pas en parler, ou si ça te rendrait trop vulnérable pour vouloir partager tes souvenirs d'elle, je comprendrais ça, fit-elle tout doucement, posant spontanément sa main sur la sienne comme par geste de soutien.

Un long frisson le secoua. Peut-être à cause de la différence de la main d'Erin - brûlante en comparaison de la sienne - ou bien des souvenirs, douloureux souvenirs qui remontaient à la surface.
- Je ... Enfin, non. Je ne veux pas en parler.
Neal baissa la tête, un sentiment familier de culpabilité venant lui comprimer la gorge.
Si seulement il avait été là, cet après-midi. Il aurait pu l'empêcher de disparaître.
Sans réfléchir, il serra à son tour la main d'Erin dans la sienne, en soutien.
- Mais je suis désolée aussi, pour ta soeur.

Ses doigts froids la firent frissonner, mais elle ne protesta pas. Au contraire, elle resserra les siens un peu plus, avant de fermer les yeux. Cette fois, le silence n'était pas gênant ; c'était un silence de peine, mais aussi de compréhension.
- C'était il y a longtemps, mais cette douleur-là ne part jamais, finit-elle simplement par avouer, la voix plus basse, tandis qu'elle se mordait l'intérieur de la joue afin de rester stoïque. Je sais que c'est pénible d'en parler, mais ... si jamais tu en ressens le besoin, je suis là.
C'était étrange comment cette dernière demi-heure la faisait se sentir plus proche du vampire. Ses derniers mots étaient sortis sans qu'elle ne le veuille, et pourtant elle les pensait, ne les regrettait pas.
Neal avait la tête d'un confident qui aurait bien besoin de son propre support.

- Je te remercie, répondit Neal, presque dans un chuchotement. Ça ne part jamais vraiment, mais on apprend à vivre avec. Et je te renvoie la balle, si tu as besoin d'en parler, je crois que je pourrais comprendre.
Un frisson, de froid cette fois, lui chatouilla la nuque et il tourna la tête vers le feu, en train de s'éteindre, faute de bois.
Sans un mot, il relâcha lentement la main d'Erin et repoussa la couverture quelques instants pour relancer le feu. De nouveau, les flammes craquèrent dans la cheminée et une nouvelle vague de chaleur vint les envelopper.
Il se réinstalla, enroulant de nouveau la couverture sur ses épaules, pensif et mélancolique à la fois.

Avant qu'elle ne trouve quoi répondre, il s'était déjà dégagé pour rallumer le feu. Erin le regarda faire sans mot dire, presque surprise de voir sa vision se brouiller sous un début de larmes.
Depuis combien de temps n'avait-elle pleuré ?
Prestement, elle essuya ses yeux d'une main avant de les tendre vers le feu pour se les réchauffer. Cette fois, c'était elle qui avait froid ; elle tenta de réprimer ses frissons, sans grand-succès, et tira sur ses manches pour couvrir ses paumes.
- Merci à toi aussi, Neal, dit-elle doucement.

Neal lui sourit de nouveau - ça tendait à devenir un réflexe, et approcha également ses mains du feu.
Il la vit frissonner et se décala légèrement pour mettre une partie de sa propre couverture sur les jambes de la démone. Lui-même n'avait plus beaucoup de matière pour se couvrir, mais le feu le réchauffait assez.
De toute façon, ce n'était pas vraiment le froid en lui-même qui le faisait frissonner, plus la peur irrationnelle d'un fantôme.
C'était étrange de penser qu'il était venu ici pour se protéger de la marquise de Norfolk, cela paraissait étrangement loin, distant, alors même qu'il ne s'était pas passé tant de temps.

Son geste de lui couvrir les jambes la surprit, mais la toucha aussi, et elle lui rendit son sourire avant de baisser les yeux en se frottant les mains. Quelque chose dans son partage la réchauffait de l'intérieur encore plus que la couverture...
Elle se mordit la lèvre. "Mais à quoi est-ce que je pense ?
A la place, elle se tourna vers lui. Ils étaient plus proches qu'avant - presque jusqu'au point de se frôler entre deux respirations - mais le trouble qu'elle en tirait était... plaisant.
- Et tes amis, Ezio et Sammy ? Tu les as rencontrés comment ?

C'était étrange de partager une telle proximité avec quelqu'un qu'il connaissait à peine. Pas qu'il y ait quoi que ce soit d'indécent, mais la nuit rendait tout de suite les choses plus ... Intimes.
Essayant de chasser ces pensées envahissantes de sa tête, Neal reporta son attention sur le feu.
- Je les ai rencontré à l'orphelinat, répondit-il honnêtement. On partageait simplement la même chambre au début ... Enfin, on m'avait forcé à cohabiter avec eux, et ça ne s'est pas trop mal passé, puisque je suis toujours coincé avec eux.
Un sourire lui vint naturellement en repensant à leur première rencontre, chaotique. Entre Sammy, agissant comme un animal acculé et rendu agressif, Ezio qui ne lâchait pas Ezio d'une semelle et semblait vouloir disparaître dans son ombre et lui-même, pas exactement le plus coopératif des colocataires, trouver un terrain d'entente avait été ... Compliqué.

- Comme c'est étrange, remarqua Erin pensivement. C'est également à l'orphelinat que j'ai rencontré Scarlett, et on est toujours amies maintenant... Ca commence à faire beaucoup de points partagés, conclut-elle avec un petit rire étouffé.
Quelque chose dans sa présence la mettait à l'aise, et elle aimait ça. Elle se surprenait en train de regretter d'avance le moment où il sortirait pour retourner dans sa propre chambre.

- C'est vrai que ça commence à faire beaucoup, c'est suspect, plaisanta-t-il en étouffant un rire.
L'unique bûche qu'il avait remis dans la cheminée était de nouveau presque entièrement brûlé.
Il n'avait aucune raison de rester ici. L'angoisse était parti et il savait par habitude qu'elle ne reviendrait pas, au moins pour cette nuit.
Il n'avait donc aucune raison de rester. Mais étrangement, il n'avait pas envie de partir. Comme si l'atmosphère surréel, hors du temps de la pièce, l'attirait irrésistiblement.
Sans parler de la présence d'Erin, troublante et rassurante à la fois. Etrangement contradictoire avec des années de guerre, et pourtant réconfortante par sa douceur, sa compassion, et, il fallait le reconnaître, leur nombre alarmant de points communs.
- Je devrais rentrer dans ma chambre, finit-il par dire, presque avec regret.

En l'entendant dire les mots qu'elle craignait, elle se mordit la lèvre pour retenir un soupir de déception.
- Déjà ? Le temps est passé vite en ta compagnie.
Elle saisit doucement la tasse et la cruche pour la déposer sur le rebord large de la cheminée, avant de se retourner vers le vampire. Ses cheveux ébouriffés par la couverture qui l'enveloppait à moitié lui donnait un air encore plus doux qu'à l'accoutumée - et elle ne put s'empêcher de penser à quel point l'air lui semblerait froid une fois qu'il partirait.
- Eh bien, ce serait impoli de ma part de te retenir davantage, fit-elle à regret. Garde la couverture, et... n'hésite pas à revenir si tu sens à nouveau mal à l'aise.